Certaines n'avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka chez Phébus


L'art de l'écriture chorale pour dire enfin...


Ce roman choral retrace l'histoire de ces milliers de femmes japonaises parties chercher un avenir meilleur auprès d'un mari encore inconnu dans cette Amérique si idyllique de l'avant guerre. Telles des colons à la conquête d'un monde nouveau, elles partent, prennent la mer, pleines d'espoirs, d'amour et d'envies.
Mais une fois le pied à terre la réalité est tout autre, ces maris ne ressemblent ni à leurs rêves, ni a ses photographies si longtemps serrées contre leurs coeurs. Leur vie n'est pas celle d'une femme de banquier mais d'ouvrier agricole. Leur première fois ne sera pas non plus celle qu'elles espéraient, et leurs multiples maternités non plus. Et puis il y aura la guerre, la montée du nazisme au Japon, et la discrimination. La peur, le rejet, la déportation, la disparition...
Ce roman nous ouvre les yeux sur un pan peu glorieux de l'histoire des État-Unis, encore très méconnues de nos jours. Pour plus d'information je vous invite à lire cet article du Monde Diplomatique datant de 2004, date de la publication du premier roman de Julie Otsuka, "Quand l'empereur était un dieu" chez Phébus qui traite aussi ce sujet.
Au delà de ce thème si particulier, la force de ce roman réside en son style. Julie Otsuka parvient à nous transporter dans un univers choral, où nous suivons une femme et toutes, ses émotions et celles de toutes les autres, les secrets de chacune, de toutes et d'une à la fois. Cette écriture est complexe à expliquer, elle use de contradictions qui n'en sont pas puisque nous changeons de narrateurs et de point de vue à chaque phrase, voire même plusieurs fois par phrase, sans pour autant quitter le "nous" de la narration... Mieux que cette description hasardeuse... un extrait :

"Seuls les gens de notre race s'y trouvaient. Il y avait des Allemands et des Italiens sur la liste, mais leurs noms n'apparaissaient que vers le bas. La liste était écrite à l'encre rouge indélébile. La liste était tapée à la machine sur des fiches. la Liste n'existait pas. "
Ou encore :

" Nous cueillons les fraises à Watsonville. Nous cueillons leur raison à Fresno et Denair. Agenous, nous déterrions les pommes de terre avec des fourches sur Bacon Island, dans le delta, où la terre était molle et spongieuse. A Holland Tract, nous triions leurs haricots verts. Et une fois les récoltes terminées, nous remettions nos couvertures sur le dos et, un sac de vêtements à la main, nous attendions le passage du prochain train pour pousser plus loin. "


A lire donc, pour ce vrai travail d'écriture, pour la force et l'histoire, pour cette impression dérangeante d'être témoin passif d'une atrocité.

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